samedi 27 avril 2013

Jeff Koons VS Pigeons en recherche de financement


Jeff Koons VS Start up en recherche de financement

Pour bien comprendre le mal être des pigeons avant les assises de l’entrepreneuriat

Le Parlement français avait, jeudi 20 décembre, le projet de loi de finance 2013, qui avait fait tant couler d’encre lors du mouvement entrepreneurial dit des Pigeons. Vous savez, ce mouvement relatif aux augmentations substantielles du régime de taxation des plus-values de cession de valeurs mobilières (article 6 de de la loi de finances 2013). Et il y avait de quoi s’alarmer. Le projet de loi de finances 2013 avait en effet prévu d’augmenter la taxation des plus-values de cession des actions d’entreprises, pour l’amener au même niveau que l’imposition sur le revenu. Avec pour conséquence de faire passer de 19% à près de 60% de taux d'imposition. certains aménagements mineurs ont tenté de rendre la pilule moins amère à avaler. Cela reste indigeste dans la gorge de nos entrepreneurs. La triple-peine a été fatale à ces derniers, vecteurs de notre croissance future : taxé publiquement de MEDEF entrepreneurial sauvage (véritable fracture idéologique entre entrepreneurs et gouvernement), frappés d’un impôt confiscatoire sur leurs hypothétiques réussites entrepreneuriales et coupé de toutes sources de financement de capital risque (financement dit haut de bilan). A l’heure où les propositions issues des Assises de l’Entrepreneuriat, sorte de doléances des entrepreneurs, ont fait émerger ce 9 Avril des mesures d’aide à l’essor et soutien à l’entrepreneuriat, des hérésies structurelles de notre code fiscal subsistent.  Exemple d’illustration empirique sur les asymétries d’investissement entre investissement dans les œuvres d’art et dans les start up. 

Reprécisons les circonstances funestes de ce mouvement aussi spontané que nécessaire au regard des conséquences irrémédiables en terme de financement de notre économie entrepreneuriale. La phrase sibylline est lâchée. Souvenez-vous, Octobre 2012. Ils ont été vilipendés par l’opinion publique pour avoir été reçus illico-presto par le Gouvernement après un mouvement viral sur les réseaux sociaux, dont même Google Flu n’avait pas prévu l’ampleur de propagation. Ont été étiquetés de MEDEF du numérique pour avoir employé des méthodes dites poujadistes. Assimilés au grand patronat. Accusés d’avoir employé des benchmarks d’imposition fiscale biaisés pour exagérer leurs inquiétudes. Pour comprendre leur malaise, illustrons modestement ce mal gaulois de l’imposition fiscale par une comparaison entre investissement dans une œuvre d’art et dans une start up. 



 A l’heure où le monde du numérique soumet son cahier de doléances sur le besoin de réformer le financement de l’innovation et la nécessité de reformer les leviers incitatifs d’investissement de capital risque à leurs propres fins et ceux des Business Angel et VC, le microcosme élitiste du monde de l’art reste perméable à toute révision fiscale. Pis, le Gouvernement se voit contraint actuellement de crever tous ses bas de laine pour boucler ses budgets, en parallèle, la fiscalité des œuvres d’art reste gravée dans le marbre, acquise ad vita eternam. Le bastion Villa Médicis plus fort que Fleur Pellerin pour offrir un cadre fiscal durable à ses ressortissants ? On peut le penser.

Par définition, une œuvre d’art est statique, figée. Sa valeur et son appréciation sont légitimement sujets à contestation et subjectivité. Elle relève d’un secteur d’activité en silo fermé : il parait abscons de classer dans la nomenclature des actifs une œuvre d’art, elle ne génère pas de cash-flow régulier. Elle ne crée pas de valeur ajoutée (actif non évolutif par définition), ne procréé aucune externalité positive telles que des créations substantielles d’emplois ou une diffusion de savoir-faire sur d’autres secteurs d’activité comme peut l’être le numérique. Donc sans commune mesure comparable avec la création de 700 000 emplois nets en France du numérique stricto sensu sur un espace-temps de 15 ans. C’est dire la profondeur de champ qui éloigne ces deux dominantes d’investissement.

Par ailleurs, les incantations de fiscalité n’ont pas été jugées suffisantes par ce microcosme artiste. Ainsi, le monde de l’art insuffle artificiellement une spéculation galopante de ce marché monolithique. Il s’agit d’un marché caractérisé par le supply-driven avec une introduction très limité d’œuvres d’art de qualité. Conjuguée à une demande en augmentation (la fiscalité ultra-incitative n’y est pas étrangère), cela a pour effet de dessiner au fuseau une courbe exponentielle des prix. Alchimie explosive entre fiscalité ensorcelante, périmètre occulte d’offre limitée, spéculation envoûtante : le tour est joué, les start-up «  connectés au business réel » n’ont qu’à bien se tenir et financer leurs seed-stage sous d’autres cieux. A croire que les efforts stakhanovistes à faire bouger les lignes du financement haut de bilan n’y feront rien.





L’investisseur obéit à une discipline : il benchmarke, dissèque son couple rendement / risque et fait des arbitrages. Ainsi, comment une gouvernance étatique peut-elle continuer raisonnablement à penser qu’il faut persévérer à orienter notre corpus d’investisseurs vers les œuvres d’art plutôt que vers nos germes du numérique à effet de levier et création d’emploi démultipliés ?  La fiscalité des œuvres d’art a donc délaissé de sa quintessence : elle est devenue une valeur refuge de placement et non plus une appréciation (objective et contestée de l’art). Démonstration en quelques faits saillants.
Les œuvres d'art, quelle que soit leur nature, ne sont pas assujetties à l’ISF. Allons plus loin, elles ne sont pas mentionnées dans la déclaration ISF. Par effet de miroir, les montants consacrés à son acquisition sont donc non imposables. Vous le cherchiez, le voilà : le parfait vecteur de déplafonnement de l’ISF. De plus, le régime français de TVA permet ainsi aux artistes assujettis à la TVA de ne facturer à leurs acheteurs qu’un taux de 5,5%. La taxe sur les plus-values (nerf de la guerre de ce sujet comparatif entre œuvre d’art et financement de start up) ne va pas chercher au-delà des 5%. Il est même inexistant pour les cessions de moins de 5000€. 
Pendant, ce temps notre entrepreneur se plie à l’exercice d’elevator pitch à la recherche d’investisseurs. Il s’évertue à brosser sa « proposition value » lors de son périlleux tour de table de levée de fonds. Malgré sa virtuosité verbale et le côté disruptif de sa technologie, il n’arrive pas à capter la prunelle de ses interlocuteurs investisseurs. On peut penser que ces derniers, à juste titre au regard de ces nouvelles considérations fiscales, détournent le regard du power point de présentation pour s’attarder sur un gribouillis Velleda mal effacé sur le tableau. Ils rêvassent qu’ils le feraient bien entrer dans l’assiette des moins de 5000€, et qu’à côté de leur practice d’investissements dans les biotechs, IT soft, infras, cela vaudrait la chandelle de faire rentrer un commissaire-priseur dans leur board d’investisseurs. Pis, spéculons que notre écolier manie mieux que ça le Velleda et notre gribouillis a quelque chose de chiadé, qui pourrait excéder une valeur nominative de 5000€ ? La parade se trouve dans le code des impôts. En cas de revente de l’œuvre d’art, si le cédant dispose d’une facture, il sera taxé à la hauteur de 5% de la plus-value et sera même exonéré totalement au bout de 21 ans de détention. Et sous certaines conditions, les œuvres d'art peuvent être, en cas de succession, intégrées dans le forfait de 5 % des meubles meublants.
Avec ce durcissement fiscal des plus-values de cession, l’ensemble du périmètre global fiscal ne forme plus un ensemble cohérent pour lutter à armes égales avec nos voisins européens.  Ainsi, pendant que nos galeristes, antiquaires et autres néo-collectionneurs (qui se découvrent un béguin pour l’art aussi soudain que romanesque à la lecture du Code des Impôts) se lèchent les babines, notre investisseur venture capital pure-player en capital risque perdra en moyenne 8,5 fois sur 10 sa mise (en d’autres termes : 8 à 9 investissements perdants sur 10 start up misés). Cela n’a rien de chimérique : cette activité de venture capital en start up obéit à une logique de risque inhérent à ce domaine. Et quid sur le dixième coup dit « gagnant » ? Selon la lecture acrobatique de la loi finances 2013, il devait être taxé (avant certains aménagements modestes suite au mouvement des Pigeons alias #geonpi) à 62% de la plus-value entre mise de départ et sortie d’investissement sur le jeton de son 10ème légionnaire. Aucun intérêt dès lors. Notre couple investisseur-entrepreneur se retrouve dans la même galère. Avec la double peine pour les associés côté entrepreneurs : pénurie à faire un tour de table fructueux et plus-value fiscale confiscatoire lors de la revente de parts en tant qu’associé. Et dans ce frêle esquif, notre couple a tout intérêt à traverser sans perturbation la Manche. Boris Johnson (fantasque maire de Londres) et sa Tech City (qui fera l’objet en intégralité d’un prochain billet) les attendent à bras ouvert, pantalon retroussé, sur les rivages de Douvres. Le mal est déjà perceptible et mesurable : les investissements des business angel dans les start up françaises ont fondu de 30% au dernier trimestre 2012 (date de révision du champ fiscal des plus-values de cessions). Après trois trimestres de hausse consécutive, le coup porté est palpable.

Mais le mal le plus profond de cet épisode des Pigeons est peut-être pour le Gouvernement d'avoir tracé cette saillie et d'avoir tenté par élan populiste d'enterrer tout espoir de réconcilier le grand public non-averti et nos entrepreneurs assimilés au grand patronat et ses dérives. ces entrepreneurs pugnaces sont notre puissance créative inestimable. Offrons leur un terreau fertile de développement, repensons notre approche entrepreneuriale. préférons-nous la fuite de nos entrepreneurs et les capitaux-risques associés ou celle des plus importants propriétaires et collectionneurs spéculateurs d'oeuvres d'art hors de France. A mes yeux, les orientations voulues par Tarik Krim, Jean-David Chamborédon et consorts pour orienter la structuration du numérique ont plus de force que la Venise de Pinault. ces derniers qui connaissent bien les US n'hésitent pas à nous rappeler tristement qu'à périmètre égal et rapporté à PIB comparable, l'activité business angel en France est trente fois moins développée qu'aux US. Constat amer.

Je ne suis pas révisionniste, en rien prosélyte, je n'invente rien, je ne fais qu'observer les dynamiques d'accompagnement offertes par la Scandinavie ou Israël (objet d'un prochain billet) pour ne citer qu'eux. Du choix de nos élites à les accompagner ou les entraver, dépendra en partie notre capacité à affronter les défis sociétaux, économiques, technologiques prochains. Elle est moche et solennelle cette phrase de conclusion (je vous le concède très volontiers), mais là je ne savais pas comment m'en sortir sur ce coup là. Donc autant faire un emprunt :
"Pour sortir de la crise, mettons-nous collectivement en danger et valorisons l'idée de prise de risque à tous les niveaux de la société. Amorçons une politique courageuse, visionnaire, porteuse de choix forts et futuristes" Olivier Mathiot, co-fondateur de Priceminister