jeudi 3 avril 2014

Le parcours aux US d’Alex Winter, entrepreneur de l’analytique à NYC et CEO de Placemeter


Echange avec Alex Winter, CEO de Placemeter (New-York)

Il évoque pour nous l’écosystème de l’analytique, son parcours, la Silicon Alley et son expérience de l’accélérateur TechStar. Il partage avec nous également sa position sur les initiatives de soutien et de fertilisation des écosystèmes aux US et en France. 

Interview 360° !

Echange avec Matthias FILLE, conseiller IT / TMT à la CCI de Paris
Alex, je te laisse te présenter en quelques mots

J'étais initialement chercheur en reconnaissance d'images et vision robotique a l'INRIA.
Et si on remonte encore plus loin, j'ai aussi passé un an dans la conception de systèmes de vision pour l'aéronautique au sein d'Aérospatiale, aujourd'hui EADS. Nous nous sommes rencontré entre co-fondateurs à l’INRIA en collaborant sur l’indexation d’images, pour ce qui allait devenir LTU Technologies. LTU Technologies est donc une spin-off de l’INRIA, positionnée sur les technologies d’indexation, de reconnaissance et de recherche visuelle. Nous avons démarré de Paris en 1999. Ça s’est enchaîné avec une levée de fonds en 2000 avec Mars Capital. Assez rapidement, après avoir essayé pas mal de business models, nous nous sommes axés sur le law enforcement (cyber criminalité, applications dédiées à l’investigation policière, vol d’objets d’art, enquête pédopornographiques, …). A partir de là nous avons commencé à vendre sur les Etats-Unis.

Justement, tu peux revenir sur les grands milestones de LTU technologies aux Etats-Unis… ?

En tant que Directeur Technique, je suis parti en 2003 monter le bureau car 80% de notre chiffre d’affaires y était généré (Secret Service, Department of Defense, FBI, différentes agences de renseignement, douanes américaines…). Au regard de ce vertical qu’on adressait, on s’est très logiquement installé à Washington DC. J’ai ainsi constitué l’équipe US de LTU et j’ai continué en parallèle à diriger l’équipe technique (basée en France) des US (donc beaucoup d’allers retours !). Puis, nous avons vendu l’entreprise en 2005 à Jastec[1]. Nous avons par la suite décidé de déménager l’antenne sur New York, car nous avons généré moins de business avec les agences gouvernementales (pour des raisons exogènes) et surtout afin accélérer notre essor avec des entreprises de marketing, d’advertising et de média. Dès lors, nous avons « dupliqué » et « repackagé » notre technologie de reconnaissance d’images pour être en adéquation avec les problématiques de ce secteur. Puis, la majeure croissance du business venait désormais de ce secteur et du bassin New Yorkais.

…puis tu quittes LTU Technologies pour lancer Placemeter…

J’ai quitté LTU Technologies en 2011. En très bons termes je précise ! J’avais simplement l’intention de redémarrer une expérience « from scratch ». Fin 2011, je suis parti sans idée, d’une page blanche, à faire des analyses, regarder les tendances, observer le marché. Puis, j’ai commencé à plancher sur des technologies de géolocalisation indoor. Alors que je travaillais sur des prototypes, au même moment, Google se lançait massivement sur le créneau. Donc j’ai vite abandonné ! Puis, je suis revenu à l’idée originelle que j’avais depuis longtemps qui était de mesurer les flux de personnes et la manière dont les individus interagissent avec la ville. Cette problématique sociétale est un défi planétaire : les villes sont de plus en plus denses, conjugué à de plus en plus de flux urbains entrants. A titre empirique, 300 millions d’habitants vont emménager en mégalopole lors des 10 prochaines années en Chine. Donc l’idée de Placemeter est née de cette rupture de paradigme concernant les flux urbains et l’interaction homme-ville. Dès lors, j’ai planché sur des technologies de mesure et détection. Et ce qui faisait le plus de sens, s’avérait être la reconnaissance d’images. Ça tombe bien, c’est mon domaine d’expertise ! Puis j’ai rencontré mon associé sur NYC.
Florent Peyre, avec un joli track record : il a travaillé dans la M&A aux US pour le compte de Lagardère. Il est entré ensuite en tant qu’employé « n°5 » chez Gilt City[2], donc au tout début de cette aventure (ils sont passés très rapidement à 200 employés, 100M€ de CA). Quand la boîte est devenue grosse et qu’elle a été intégrée par Gilt Group, il a décidé à mon instar de lever les voiles. Puis, il a créé une boîte de réseau social de voyages, soutenu par les VC Lerer Ventures (excusez du peu !), mais qui n’a pas décollé.  Un ami commun, Matt Turck[3] nous a présentés. Florent et moi avons ainsi commencé à plancher ensemble sur le sujet Placemeter en Octobre 2012. C’était parti !

C’est quoi la value proposition et la dimension disruptive de Placemeter ?

Il faut savoir que sur ce domaine, il y a beaucoup d’autres acteurs, mais notre élément différentiant repose sur la manière dont on mesure la donnée. Les acteurs typiques de ce domaine-là vendent aux retailers des capteurs pour appréhender ce qui se passe dans leurs magasins. A partir de là, le retailer installe sa caméra, et à fortiori la donnée qui en découle lui appartient.
L’approche de Placemeter est sensiblement différente : on construit une couche de données qui a des informations sur tous les endroits, car nous voulons être propriétaires de la donnée. Ainsi, on ne fabrique pas de capteurs et de hardware. Notre solution et notre application s’intègrent et analysent des flux vidéo d’un parc de caméras existantes.  Nos algorithmes travaillent sur ces flux. Puis nous sommes en mesure de fournir à nos clients de l’intelligence, de l’analyse et de la data en temps réel sur les flux de personnes dans les espaces concernés.
Par la mise en place de partenariats avec les municipalités et compagnies de sécurité (ayant déjà leur parc de caméras), on en retire un avantage évident de scalabilité. Notre plate-forme collaborative de contribution de flux est large : cela va du simple individu (via son terminal ou des caméras reliées au wi-fi) aux acteurs municipaux (trafic, civil, vidéosurveillance) en passant par des compagnies privées et de sécurité (parc de caméras en propre). Placemeter n’est pas une entreprise de vidéosurveillance. Nous sommes force de contribution sur le domaine de la ville intelligente du futur, en mode crowdsourcing, et dont la solution passe par de l’analyse de flux vidéos existants. L’idée derrière cela, est d’indexer le monde physique et la manière dont les individus interagissent avec leur ville en temps réel. Nous proposons ainsi notre outil d’analytics à des retailers, des municipalités ou des acteurs qui conçoivent des applications dites « life style » qui cherchent à faciliter l’accès et l’interaction à ta ville. 

Au Printemps 2012, Placemeter a participé au Techstars[4] de NYC. Déjà comment ? Et en quoi ce programme a challengé et fait progresser Placemeter ?

Matt Turck nous a conseillé de rentrer dans ce programme d’accélération de startup du Techstars de NYC. Nous avons candidaté, sans plus de convictions. Sans présomption, je me confortais sur le fait que j’avais déjà monté et fait décoller une boîte dans ce domaine aux US ! Nous avons été retenu et là je n’ai plus fait la fine bouche à m’investir, au regard du degré de sélection des projets (1700 candidatures en provenance de 66 pays et 11 heureux élus) ! L’expérience fut exceptionnelle ! Figure-toi que je n’ai toujours pas réussi à décrypter la recette magique de Techstars et cette alchimie si particulière ! Au Techstars, pas de cours magistraux, pas de méthodologie particulière délivrée.
En revanche, tu évolues dans un environnement d’une telle pression avec des attentes extrêmement élevées. Ces composantes te poussent à te démener. De surcroît, tu côtoies des sommités, des pontes du milieu que tu as toujours rêvé de rencontrer, qui échangent avec toi, te délivrent du feedback. La compétition « officieuse » et la pression entre lauréats te poussent quotidiennement à te surpasser. Au risque de me répéter, cet environnement est exceptionnel ! Avec du recul, c’est vraiment à la suite de ce programme que nous avons fait décoller la boîte. Nous avons d’ailleurs récemment conclu notre 1er tour de table de levée de fonds.

Justement, où en est Placemeter à ce stade ?

Nous sommes maintenant 6 personnes auxquelles s’ajoutent 2 recrutements en cours. Une levée de fonds bouclée, comme je te le précisais. Actuellement on construit le système de maillage afin de couvrir intégralement New York d’ici 2 mois. Notre application est disponible sur les app afin de densifier notre plate-forme de contributions. Notre application va couvrir les 100 endroits les plus « busy » de New York : Shake Shack, Trader’s Joe, etc…

Avec du recul, sur quelles composantes as-tu progressé en tant qu’entrepreneur aux US ?

Sans surprise, j’ai appris sur les aspects de design et de packaging de solution. Autre chose, la différence fondamentale est qu’aux US, on apprend à vendre avant de fabriquer. Il est primordial de bien affiner sa proposition de valeur avant de concevoir son produit. Autre aspect. Au niveau technique, de la France, on a une image d’Epinal assez emphatique comme quoi les américains ne sont pas forcément de bons techniques, de bons développeurs, que les Français sont bien meilleurs. Ma vision sur ce sujet est qu’en France on a un gros peloton de très bons développeurs de classe A - / B +. Aux US, il existe une classe de développeurs exceptionnellement bons et ensuite une grosse classe relativement moyenne. Cette première classe n’émerge pas directement des Universités mais bien des « écoles » GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon). Ces entreprises ont une culture de l’excellence technique qu’on ne trouve nulle part ailleurs. Nulle par ailleurs je dis !

De France, on a une perception que NYC est devenue « the place to be » pour les start up, que l’environnement de la Silicon Alley est hyper stimulant, bien soutenu par la municipalité Bloomberg, ton sentiment ?

New York est passé en quelques années de la 4ème / 3ème place en ce qui concerne l’investissement dans les start up au 2ème rang. Loin devant Boston. La croissance et la profusion de start up à NYC est exponentielle, NYC est devenue très « tech-friendly ». Je vois des entrepreneurs débarquer chaque semaine, dont beaucoup de français d’ailleurs. Quelles raisons à cela ? Au-delà des initiatives entreprises par le maire Bloomberg et par la municipalité (difficilement mesurables mais qui ont facilité le processus), je pense qu’il faut chercher les facteurs explicatifs du succès de NYC autre part. Pour créer un écosystème numérique vertueux pour les start up, il te faut trois éléments combinatoires : du talent, des investisseurs et un environnement social et collaboratif (en d’autres termes une culture sociale dans l’écosystème). New York revêt tous ces ingrédients. Les talents sont venus suite à la crise de 2008, où tout d’un coup, 600 000 personnes ultra qualifiées se sont retrouvées sur le carreau. Beaucoup se sont tournés naturellement vers l’entrepreneuriat et les start up. Pour ce qui relève du financement, à l’époque, des structures comme le Huffington Post (comme la « Mafia PayPal[5] ») ont investi dans une myriade de start up qui sont devenus de vrais succès. Pour finir,  New York a un tissu social très dense, les leviers d’introduction sont très faciles. Ces 3 ingrédients font que NYC est devenue une forte place des start up.
Par effet de miroir, et pour évoquer Paris, cela peut marcher : il faut accentuer le levier du tissu social afin qu’il devienne plus actif et impactant. On n’a pas forcément besoin d’un coup de boost significatif des pouvoirs publics pour faire émerger un écosystème vertueux. Exemple : Boulder au Colorado, d’où a émergé le Techstars, en est le meilleur exemple. Boulder, historiquement ville de hippies, n’était pas du tout « tech-friendly » de prime à bord. Pour autant, il y a 6 fois plus de startup par habitant que la moyenne nationale. San Jose en Silicon Valley, par comparaison, c’est 3 fois.

Selon toi, quelles types d’initiatives de soutien de la part des pouvoirs publics a-t-on besoin en France pour stimuler cet écosystème du Big Data et de l’Analytics ?

Au niveau des tendances technologiques, le discours ambiant a toujours tendance à vouloir sectorialiser la chose : hier, on parlait d’usage de BYOD[6], aujourd’hui de Big Data et d’IoT[7], et après ça sera naturellement autre chose. Je pense humblement que les pouvoirs publics ne doivent pas faire de focus trop appuyé, marqué et distinctif sur chacun de ces secteurs. Déjà car ça bouge vite et ils n’auront jamais cette agilité pour s’adapter et anticiper de nouvelles tendances. Ce qui compte c’est de soutenir de bons entrepreneurs, leur offrir un environnement stable, à qui on donne les clés. Ils défricheront et structureront eux-mêmes les tendances porteuses et disruptives de demain. L’aspect humain l’emporte sur le domaine. Il faut surtout renforcer l’environnement collaboratif et la dynamique intra-start up. C’est une différence majeure par rapport à ce que j’expérimente sur les US.

Pour finir de manière plus légère, un entrepreneur que tu admires ?

La star Elon Musk[8] sans hésitation !
Et Xavier Niel pour la France. Tous deux ont en commun cette volonté de sortir de leur zone de confort, de réinvestir sur de nouveaux secteurs. Je suis admiratif de leur capacité à remettre en cause l’ordre établi par de nouveaux business modèles. Un autre que j’admire est Aaron Levie de Box, très humble et très abordable.

Merci de ton temps Alex et wish you all the best !

Pour en savoir plus :



[1] société japonaise cotée à la Bourse de Tokyo
[2] Gilt City : site d’e-commerce
[3] Matt Turck. A l’époque Directeur Général chez Bloomberg Ventures et aujourd’hui Directeur Général de FirstMark Capital. Il a lancé et manage le mensuel meetup Data Driven NYC, reconnu comme le meilleur event à NYC de l’écosystème data (CTO, VC, CEO)
[4] Programme d’accélération de start-up
[5] La mafia PayPal désigne tous les anciens fondateurs et employés de PayPal ayant fondé par la suite de grandes réussites : Tesla, LinkedIn, Youtube, Yammer, Tesla Motors, SpaceX
[6] BYOD : Bring Your Own Device, pratique qui consistant à utiliser ses équipements personnels (téléphone, ordinateur portable, tablette électronique) dans un contexte professionnel
[7] IoT : Internet des Objets, tendance représentant l'extension d'Internet à des choses, des objets connectés et à des lieux dans le monde physique.
[8] Elon Musk, ancien co-fondateur de PayPal et aujourd’hui fondateur de Tesla Motors et SpaceX

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire