Echange avec Alex
Winter, CEO de Placemeter (New-York)
Il
évoque pour nous l’écosystème de l’analytique, son parcours, la Silicon Alley
et son expérience de l’accélérateur TechStar. Il partage avec nous également sa
position sur les initiatives de soutien et de fertilisation des écosystèmes aux
US et en France.
Interview 360° !
Echange avec Matthias FILLE,
conseiller IT / TMT à la CCI de Paris
Alex,
je te laisse te présenter en quelques mots
J'étais initialement
chercheur en reconnaissance d'images et vision robotique a l'INRIA.
Et si on
remonte encore plus loin, j'ai aussi passé un an dans la conception de systèmes
de vision pour l'aéronautique au sein d'Aérospatiale, aujourd'hui EADS. Nous
nous sommes rencontré entre co-fondateurs à l’INRIA en collaborant
sur l’indexation d’images, pour ce qui allait devenir LTU Technologies. LTU Technologies
est donc une spin-off de l’INRIA, positionnée sur les technologies d’indexation, de reconnaissance et de recherche visuelle.
Nous avons démarré de Paris en 1999. Ça s’est enchaîné avec une levée de fonds
en 2000 avec Mars Capital. Assez rapidement, après avoir essayé pas mal de
business models, nous nous sommes axés sur le law enforcement (cyber
criminalité, applications dédiées à l’investigation
policière, vol d’objets d’art, enquête pédopornographiques, …). A partir
de là nous avons commencé à vendre sur les Etats-Unis.
Justement,
tu peux revenir sur les grands milestones de LTU technologies aux Etats-Unis… ?
En tant que Directeur Technique, je suis parti
en 2003 monter le bureau car 80% de notre chiffre d’affaires y était généré
(Secret Service, Department of Defense, FBI, différentes agences de
renseignement, douanes américaines…). Au regard de ce vertical qu’on adressait,
on s’est très logiquement installé à Washington DC. J’ai ainsi constitué
l’équipe US de LTU et j’ai continué en parallèle à diriger l’équipe technique (basée
en France) des US (donc beaucoup d’allers retours !). Puis, nous avons
vendu l’entreprise en 2005 à Jastec[1].
Nous avons par la suite décidé de déménager l’antenne sur New York, car nous
avons généré moins de business avec les agences gouvernementales (pour des
raisons exogènes) et surtout afin accélérer notre essor avec des entreprises de
marketing, d’advertising et de média. Dès lors, nous avons « dupliqué »
et « repackagé » notre technologie de reconnaissance d’images pour être
en adéquation avec les problématiques de ce secteur. Puis, la majeure
croissance du business venait désormais de ce secteur et du bassin New Yorkais.
…puis
tu quittes LTU Technologies pour lancer Placemeter…
J’ai quitté LTU Technologies en 2011. En très
bons termes je précise ! J’avais simplement l’intention de redémarrer une
expérience « from scratch ». Fin 2011, je suis parti sans idée, d’une
page blanche, à faire des analyses, regarder les tendances, observer le marché.
Puis, j’ai commencé à plancher sur des technologies de géolocalisation indoor. Alors
que je travaillais sur des prototypes, au même moment, Google se lançait
massivement sur le créneau. Donc j’ai vite abandonné ! Puis, je suis
revenu à l’idée originelle que j’avais depuis longtemps qui était de mesurer
les flux de personnes et la manière dont les individus interagissent avec la
ville. Cette problématique sociétale est un défi planétaire : les villes
sont de plus en plus denses, conjugué à de plus en plus de flux urbains
entrants. A titre empirique, 300 millions d’habitants vont emménager en
mégalopole lors des 10 prochaines années en Chine. Donc l’idée de Placemeter
est née de cette rupture de paradigme concernant les flux urbains et
l’interaction homme-ville. Dès lors, j’ai planché sur des technologies de
mesure et détection. Et ce qui faisait le plus de sens, s’avérait être la
reconnaissance d’images. Ça tombe bien, c’est mon domaine d’expertise !
Puis j’ai rencontré mon associé sur NYC.
Florent Peyre, avec un joli track
record : il a travaillé dans la M&A aux US pour le compte de Lagardère.
Il est entré ensuite en tant qu’employé « n°5 » chez Gilt City[2],
donc au tout début de cette aventure (ils sont passés très rapidement à 200
employés, 100M€ de CA). Quand la boîte est devenue grosse et qu’elle a été
intégrée par Gilt Group, il a décidé à mon instar de lever les voiles. Puis, il
a créé une boîte de réseau social de voyages, soutenu par les VC Lerer Ventures
(excusez du peu !), mais qui n’a pas décollé. Un ami commun, Matt Turck[3] nous
a présentés. Florent et moi avons ainsi commencé à plancher ensemble sur le
sujet Placemeter en Octobre 2012. C’était parti !
C’est
quoi la value proposition et la dimension disruptive de Placemeter ?
Il faut savoir que sur ce domaine, il y a
beaucoup d’autres acteurs, mais notre élément différentiant repose sur la
manière dont on mesure la donnée. Les acteurs typiques de ce domaine-là vendent
aux retailers des capteurs pour appréhender ce qui se passe dans leurs
magasins. A partir de là, le retailer installe sa caméra, et à fortiori la
donnée qui en découle lui appartient.
L’approche de Placemeter est sensiblement
différente : on construit une couche de données qui a des informations sur
tous les endroits, car nous voulons être propriétaires de la donnée. Ainsi, on
ne fabrique pas de capteurs et de hardware. Notre solution et notre application
s’intègrent et analysent des flux vidéo d’un parc de caméras existantes. Nos algorithmes travaillent sur ces flux. Puis
nous sommes en mesure de fournir à nos clients de l’intelligence, de l’analyse
et de la data en temps réel sur les flux de personnes dans les espaces
concernés.
Par la mise en place de partenariats avec les municipalités et
compagnies de sécurité (ayant déjà leur parc de caméras), on en retire un
avantage évident de scalabilité. Notre
plate-forme collaborative de contribution de flux est large : cela va du
simple individu (via son terminal ou des caméras reliées au wi-fi) aux acteurs municipaux (trafic, civil,
vidéosurveillance) en passant par des compagnies privées et de sécurité (parc
de caméras en propre). Placemeter n’est pas une entreprise de vidéosurveillance. Nous sommes force de
contribution sur le domaine de la ville intelligente du futur, en mode crowdsourcing,
et dont la solution passe par de l’analyse de flux vidéos existants. L’idée
derrière cela, est d’indexer le monde physique et la manière dont les individus
interagissent avec leur ville en temps réel. Nous
proposons ainsi notre outil d’analytics à des retailers, des municipalités ou
des acteurs qui conçoivent des applications dites « life style » qui
cherchent à faciliter l’accès et l’interaction à ta ville.
Au
Printemps 2012, Placemeter a participé au Techstars[4] de
NYC. Déjà comment ? Et en quoi ce programme a challengé et fait progresser
Placemeter ?
Matt Turck nous a conseillé de rentrer dans
ce programme d’accélération de startup du Techstars de NYC. Nous avons
candidaté, sans plus de convictions. Sans présomption, je me confortais sur le
fait que j’avais déjà monté et fait décoller une boîte dans ce domaine aux
US ! Nous avons été retenu et là je n’ai plus fait la fine bouche à m’investir,
au regard du degré de sélection des projets (1700 candidatures en provenance de
66 pays et 11 heureux élus) ! L’expérience fut exceptionnelle ! Figure-toi
que je n’ai toujours pas réussi à décrypter la recette magique de Techstars et
cette alchimie si particulière ! Au Techstars, pas de cours magistraux,
pas de méthodologie particulière délivrée.
En revanche, tu évolues dans un environnement
d’une telle pression avec des attentes extrêmement élevées. Ces composantes te
poussent à te démener. De surcroît, tu côtoies des sommités, des pontes du
milieu que tu as toujours rêvé de rencontrer, qui échangent avec toi, te
délivrent du feedback. La compétition « officieuse » et la pression
entre lauréats te poussent quotidiennement à te surpasser. Au risque de me
répéter, cet environnement est exceptionnel ! Avec du recul, c’est
vraiment à la suite de ce programme que nous avons fait décoller la boîte. Nous
avons d’ailleurs récemment conclu notre 1er tour de table de levée de fonds.
Justement,
où en est Placemeter à ce stade ?
Nous sommes maintenant 6 personnes auxquelles
s’ajoutent 2 recrutements en cours. Une levée de fonds bouclée, comme je te le
précisais. Actuellement on construit le système de maillage afin de couvrir intégralement
New York d’ici 2 mois. Notre application est disponible sur les app afin de
densifier notre plate-forme de contributions. Notre application va couvrir les
100 endroits les plus « busy » de New York : Shake Shack,
Trader’s Joe, etc…
Avec du recul, sur quelles composantes as-tu progressé en tant
qu’entrepreneur aux US ?
Sans surprise, j’ai appris sur les aspects de
design et de packaging de solution. Autre chose, la différence fondamentale est
qu’aux US, on apprend à vendre avant de fabriquer. Il est primordial de bien
affiner sa proposition de valeur avant de concevoir son produit. Autre aspect. Au
niveau technique, de la France, on a une image d’Epinal assez emphatique comme
quoi les américains ne sont pas forcément de bons techniques, de bons
développeurs, que les Français sont bien meilleurs. Ma vision sur ce sujet est
qu’en France on a un gros peloton de très bons développeurs de classe A - / B
+. Aux US, il existe une classe de développeurs exceptionnellement bons et ensuite
une grosse classe relativement moyenne. Cette première classe n’émerge pas
directement des Universités mais bien des « écoles » GAFA (Google,
Apple, Facebook, Amazon). Ces entreprises ont une culture de l’excellence
technique qu’on ne trouve nulle part ailleurs. Nulle par ailleurs je dis !
De France, on a une perception que NYC
est devenue « the place to be » pour les start up, que
l’environnement de la Silicon Alley est hyper stimulant, bien soutenu par la
municipalité Bloomberg, ton sentiment ?
New York est passé en quelques années de la 4ème
/ 3ème place en ce qui concerne l’investissement dans les start up
au 2ème rang. Loin devant Boston. La croissance et la profusion de
start up à NYC est exponentielle, NYC est devenue
très « tech-friendly ». Je vois des entrepreneurs débarquer
chaque semaine, dont beaucoup de français d’ailleurs. Quelles raisons à
cela ? Au-delà des initiatives entreprises par le maire Bloomberg et par
la municipalité (difficilement mesurables mais qui ont facilité le processus),
je pense qu’il faut chercher les facteurs explicatifs du succès de NYC autre
part. Pour créer un écosystème numérique vertueux pour les start up, il te faut
trois éléments combinatoires : du talent, des investisseurs et un
environnement social et collaboratif (en d’autres termes une culture sociale
dans l’écosystème). New York revêt tous ces ingrédients. Les talents sont venus
suite à la crise de 2008, où tout d’un coup, 600 000 personnes ultra
qualifiées se sont retrouvées sur le carreau. Beaucoup se sont tournés
naturellement vers l’entrepreneuriat et les start up. Pour ce qui relève du
financement, à l’époque, des structures comme le Huffington Post (comme la
« Mafia PayPal[5] »)
ont investi dans une myriade de start up qui sont devenus de vrais succès. Pour
finir, New York a un tissu social très
dense, les leviers d’introduction sont très faciles. Ces 3 ingrédients font que
NYC est devenue une forte place des start up.
Par effet de miroir, et pour
évoquer Paris, cela peut marcher : il faut accentuer le levier du tissu
social afin qu’il devienne plus actif et impactant. On n’a pas forcément besoin
d’un coup de boost significatif des pouvoirs publics pour faire émerger un écosystème
vertueux. Exemple : Boulder au Colorado, d’où a émergé le Techstars, en
est le meilleur exemple. Boulder, historiquement ville de hippies, n’était pas
du tout « tech-friendly » de prime à bord. Pour autant, il y a 6 fois
plus de startup par habitant que la moyenne nationale. San Jose en Silicon
Valley, par comparaison, c’est 3 fois.
Selon toi, quelles types d’initiatives
de soutien de la part des pouvoirs publics a-t-on besoin en France pour
stimuler cet écosystème du Big Data et de l’Analytics ?
Au niveau des tendances technologiques, le
discours ambiant a toujours tendance à vouloir sectorialiser la chose : hier,
on parlait d’usage de BYOD[6], aujourd’hui
de Big Data et d’IoT[7], et
après ça sera naturellement autre chose. Je pense humblement que les pouvoirs
publics ne doivent pas faire de focus trop appuyé, marqué et distinctif sur
chacun de ces secteurs. Déjà car ça bouge vite et ils n’auront jamais cette
agilité pour s’adapter et anticiper de nouvelles tendances. Ce qui compte c’est
de soutenir de bons entrepreneurs, leur offrir un environnement stable, à qui
on donne les clés. Ils défricheront et structureront eux-mêmes les tendances
porteuses et disruptives de demain. L’aspect humain l’emporte sur le domaine.
Il faut surtout renforcer l’environnement collaboratif et la dynamique
intra-start up. C’est une différence majeure par rapport à ce que j’expérimente
sur les US.
Pour
finir de manière plus légère, un entrepreneur que tu admires ?
La star Elon Musk[8] sans
hésitation !
Et Xavier Niel pour la France. Tous deux ont en commun cette
volonté de sortir de leur zone de confort, de réinvestir sur de nouveaux
secteurs. Je suis admiratif de leur capacité à remettre en cause l’ordre établi
par de nouveaux business modèles. Un autre que j’admire est Aaron Levie de Box,
très humble et très abordable.
Merci de ton temps Alex et wish you all the best !
Pour en savoir plus :
[1] société japonaise
cotée à la Bourse de Tokyo
[2] Gilt City : site
d’e-commerce
[3] Matt Turck. A l’époque
Directeur Général chez Bloomberg Ventures et aujourd’hui Directeur Général de FirstMark Capital. Il a lancé et manage le mensuel
meetup Data Driven NYC, reconnu comme le meilleur event à NYC de l’écosystème
data (CTO, VC, CEO)
[4] Programme
d’accélération de start-up
[5] La mafia PayPal
désigne tous les anciens fondateurs et employés de PayPal ayant fondé par la
suite de grandes réussites : Tesla, LinkedIn, Youtube, Yammer, Tesla
Motors, SpaceX
[6] BYOD : Bring
Your Own Device, pratique qui
consistant à utiliser ses équipements personnels (téléphone, ordinateur
portable, tablette électronique) dans un contexte professionnel
[7] IoT : Internet
des Objets, tendance représentant l'extension d'Internet à des choses, des objets
connectés et à des lieux dans le monde physique.
[8] Elon Musk, ancien
co-fondateur de PayPal et aujourd’hui fondateur de Tesla Motors et SpaceX
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